Auteur: Jérôme Grenier-Desbiens, Corsé Magazine
Dans le café de spécialité, l’accent est généralement mis sur les origines uniques. On voit des séparations de lots selon l’origine, souvent la région. On observe même cette séparation se faire jusqu’au fermier ou jusqu’à la parcelle de la ferme. Cette qualité mise de l’avant représente un point distinctif majeur dans l’ensemble de l’industrie du café. Toutefois, plusieurs torréfacteurs de spécialité conservent encore des mélanges dans leur offre. Étant donné l’attention portée sur les origines uniques, on perd parfois de vue le fait que le mélange est à l’origine de notre industrie et demeure, à ce jour, une pierre angulaire de celle-ci. Voici donc une mise en contexte de ce qu’est un mélange.
De prime abord, un mélange est un produit relativement simple : il doit contenir au moins deux cafés différents mélangés ensemble. Cependant, établir une définition précise peut être relativement délicat puisqu’on doit d’abord déterminer ce qui fait la différence entre deux cafés. Est-ce l’origine du pays? De la ferme? De la région? Du port d’expédition? En creusant moindrement, on réalise qu’en fait, tout café constitue un mélange sur au moins un aspect. Les cafés de lots plus commerciaux, venant habituellement d’un pays unique, sont en fait souvent un mélange de plusieurs régions. Les cafés provenant d’une coop, de leur côté, représentent un mélange de plusieurs fermes pouvant avoir des caractéristiques souvent différentes. Même dans le cas des micro-lots cultivés dans une seule ferme, les grains peuvent provenir de semaines de cueillette différentes, qui sont par la suite mélangées ensemble. Lorsque l’on évalue les jours de cueillette de façon distincte, on réalise que chacun a un caractère différent puisque la maturité du gain varie avec les semaines de récolte.
Donc, peut-on considérer que tout est un mélange? Dans le cadre de cet article, nous définirons le mélange comme étant un café issu au minimum de deux fermes distinctes ou reconnues comme telles par le torréfacteur.
L’origine du mélange est relativement nébuleuse au niveau historique. Cependant, on assume généralement que celui-ci était présent dès les balbutiements de la culture du café à Londres et Venise au 17e et 18e siècles. En effet, à cette époque, les origines du café étaient rarement connues ou souvent le grain arrivait à destination déjà mélangé. Ainsi, le mélange était donc la norme et souvent forcé, parfois même à l’insu des torréfacteurs. Les raisons motivant la création d’un mélange sont par contre plus claires. Assez rapidement on voit l’émergence du mélange maison, le fameux « house blend ». Les mauvaises langues citent souvent l’origine de ces mélanges par la nécessité de passer les vieux stocks. Cafés âgés et fin de lots se retrouvent donc dans ces mélanges « touski ». Le désir des maisons de torréfactions de distinguer leur offre des compétiteurs représente aussi une bonne raison de créer un mélange et de lui donner un nom distinct. On obtient ainsi un produit unique, signature de la compagnie. Troisièmement, le fait de mélanger des saveurs de différentes origines, lorsque bien exécuté, permet d’obtenir une constance du profil de goût. Les origines sont adaptées au fil de l’année pour conserver l’équilibre de saveur désiré. Finalement, la recherche d’un produit plus complexe ou équilibré peut motiver la décision de faire un mélange. Le meilleur exemple étant un mélange très vieux : le moka-java. Mélangeant le café du port de Moka présentant plus d’acidité et un caractère plus vif et le café de l'île de Java présentant des notes plus chocolatées et terreuses, ce café fait donc état d’un équilibre entre ces deux profils de goût. Dans le cas des torréfacteurs de spécialité, le mélange est plus souvent utilisé pour offrir un profil de goût constant à leur clientèle.
Il existe plusieurs techniques pour parvenir à un mélange. La méthode la plus brute est de mixer les cafés avant la torréfaction. Cette méthode est peu utilisée pour les cafés de spécialité puisque son principal désavantage est un développement inégal des grains. Chaque composant ayant besoin d’une torréfaction différente, les mélanger en amont peut mener à une torréfaction inégale. Cependant, dans le café de spécialité, on procède au mélange en aval de la torréfaction et une attention plus particulière est appliquée. On parlera souvent de cafés « blenders ». Ceux-ci étant unidimensionnels, ils se prêtent facilement aux mélanges. Il est alors plus facile de contrôler l’apport de chaque élément. Ainsi, le maître torréfacteur se retrouve dans un rôle se rapprochant de celui d’un producteur ou arrangeur dans l’industrie musicale. Il doit moduler l’apport et la présence de chaque élément afin de créer un tout agréable. Par exemple, on peut combiner un café avec une faible acidité, possédant des saveurs de caramel et chocolat, avec un autre plus fruité et acide. Le résultat est une tasse plus complexe et plus plaisante que chaque élément consommé séparément. Certains torréfacteurs vont même plus loin en modulant le développement de chaque café afin d’obtenir une solubilité équivalente entre les composants. Le résultat est un café au goût plus clair, plus droit et plus facile à travailler.
En terminant, un mélange n’est pas toujours de nature ennuyante. S’il est bien réalisé, celui-ci aura une complexité et un profil de saveurs impossible à atteindre avec des origines simples. Si la sélection des origines et son agencement sont réalisés de manière minutieuse, on profitera d’une synergie de saveurs. Cette synergie pourra parfois révéler des goûts n’existant tout simplement pas dans les composants. On retrouve alors un café unique.
Ainsi, cela permet de faire rayonner l’expertise du torréfacteur.
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